Le Portail des cieux de Rabbi Abraham Cohen de Herrera (1570-1635), traduit pour la première fois en français sur la base du manuscrit espagnol, est une œuvre charnière à plus d’un titre. C’est un des derniers ouvrages de cabale écrit en espagnol par un cabaliste séfarade d’Amsterdam à l’orée de la modernité. Destiné à guider les membres de la nación séfarade revenus au judaïsme et désireux de pénétrer la cabale hébraïque, il eut toutefois une extraordinaire diffusion à la fois dans les milieux chrétiens – qui, depuis Pic de la Mirandole, s’intéressaient à la cabale juive – et philosophiques, puisqu’on a prétendu que le panthéisme de Spinoza était directement inspiré du Portail des cieux, que l’auteur de l’Ethique avait pu lire dans sa version hébraïque alors qu’il fréquentait la communauté juive d’Amsterdam. D’ailleurs, toute l’œuvre de Herrera tend sinon à concilier du moins à «penser ensemble» cabale et philosophie, même si on a pu écrire que «Herrera était sans doute un philosophe trop authentique pour croire à la possibilité de fusion entre les deux ‘royaumes’, et trop authentiquement un cabaliste pour l’appeler de ses vœux». Il n’empêche que Le Portail des cieux est sans doute l’entreprise la plus monumentale et la plus systématique de contact entre philosophie et cabale juive, une véritable «critique de la raison cabalistique». Cité par Hegel ou par D’Alembert dans son article «cabale» pour l’Encyclopédie, Abraham de Herrera fait partie de ces auteurs charnières entre deux mondes, qui, faute d’atmosphère adéquate, tombent dans l’oubli, puis resurgissent comme des comètes.
Lire un compte-rendu de Frédéric Manzini dans La vie des Idées
Réceptions de la cabale Ethique Voir aussi
Charles Mopsik Gershom Scholem Spinoza